A PROPOS DE L’ARTISTE

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De qu’elle planète viennent les artistes?

Chacun la leur probablement.

Celle d’Abdelhaq El Youssi est remplie de voyages et de rencontres .

Les rues de Salé ont accueilli ses premières découvertes, le cuir, la peinture, la matière, elle sent bon, elle est tantôt chaude tantôt froide.

Les mains s’en emparent pour la palper, la défigurer, la sculpter.

Puis la mer et les routes, c’est chaque fois un métier qui l’emporte tantôt pêcheur le lendemain photographe mais la veille électricien.

Il goûte et s’engouffre.

A chaque fois … une couleur, une odeur, une matière…

La vie le conduit.

N’est-ce pas ainsi que les artistes autrefois vivaient ? avant de devenir ces êtres à part dans notre société ? Ils faisaient corps avec elle.

Ni marchand, ni business man, ni star, mais ce lien entre les hommes, avec le divin, l’inconnu, traducteurs de l’indicible, magiciens de l’impossible, embellisseurs du possible.

Ils sont la nature, pour mieux nous rassurer.

il est, toujours à la recherche de ce point de rencontre, de cette vision claire du monde, de cette unité avec et dans le tout.

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Sa peinture alors ?

pose des questions. Elle navigue entre l’ombre et la lumière, entre ce qu’il voit et ce qu’il n’ose pas voir,

Elle fouille le désordre pour chercher l’harmonie.

Elle dit les conflits de l’Homme. Elle rit de ses ambiguïtés.

Elle se moque. Un peu…

Puis continue à chercher

la vérité.

 

Et sa sculpture ?

Il dit, je me fous de ces conseils qui disent un seul style vend mieux que la diversité

il dit selon mon état d’esprit je sculpte ou je peints,

la peinture est chaude de ses couleurs,

la sculpture est froide de ses outils.

 

On l’appelle la ferraille

il récupère et soude

et peut-être parce qu’elle est froide, sa sculpture parle un autre langage

Elle est musique,

Elle est hommage et admiration

Elle est espace sans confusion

 

Et récupération…

Il récupère tout, pièces de métal fer, acier et bronze

Pinceaux en fin de vie

Amas de peinture séchée

Clous rouillés

Ficelles et brindilles

Matière végétal

Bouts de plastique abandonnés …

 

Ce pourrait être un effet de mode ou du temps ; Parler au monde de Copenhague ou à ses milliers de déçus. Ajouter une voix mal écoutée à toutes celles qui tentent désespérément de faire entendre ce que nos dirigeants s’entêtent à refuser. Par un geste artistique de plus, dire au combien il est temps de ne plus faire semblant.

Ce pourrait être une façon comme une autre d’entremêler la matière, de jouer avec ses profondeurs et ses couleurs.

Pourtant à le regarder vivre on est forcé de chercher un peu plus loin l’origine de cette nécessité.

C’est peut-être à la rencontre des ingénieuses techniques de récupération sénégalaises ou maliennes, qu’il faut chercher.

C’est peut-être à l’époque de ses culottes encore  courtes, quand il chinait ça et là les bricoles qui une fois vendues au souk lui rapportaient les quelques dirhams qui lui manquaient pour faire on ne sait quoi.

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C’est pourquoi pas, en hommage à ces temps pas si ancien où le fer et l’acier si précieux étaient recyclés jusque dans leurs plus petits détails.

C’est sans doute un peu de tout cela et beaucoup plus.

Les objets qui l’entourent sont tels les contes du conteur. Ils vivent avec lui comme des personnages, ils l’habitent, ils peuplent ses minutes beaucoup plus sereinement que n’importe quel être humain. Ils vont et reviennent au gré de leur passion. Ramenés des souks. Négociés ardemment. Lampes, tableaux, chaises, tables, pièces de cuivre, clés et serrures, photographies, jouets, vêtements, livres. Ils l’appellent, il écoute, ils parlent, il peint et sculpte, ils racontent, il regarde. Et sans eux, il se perd.

Leur histoire a commencé bien avant lui. Ils portent avec eux leur mémoire.

Personnages inconnus auxquels on peut prêter toutes sortes de voyages. Des histoires de familles unies, des vies en harmonies, des aventures incroyables, des choix, des hasards qui n’en sont pas, des incertitudes, des regrets, des pensées et leur foi. Foi en la vie et confiance des sages. Certitude que leur vie entre ses mains continue. Certitude que leur mémoire entre ses mains se reconstruit aussi sûrement que lui même à travers eux se laisse pénétrer par sa propre mémoire.

Il est peut-être là, le nœud de notre histoire. On dit que « l’artiste ne travaille pas avec sa mémoire, c’est la mémoire qui le travaille » (Serge Ouaknine).

Abdelhaq El Youssi est issu d’une lignée venue d’Egypte. Un aïeul, maître soufi reposant dans un mausolée de la vallée du Rif. Un autre connaisseur des astres et de leurs mouvements. Une famille désunie par l’immigration. Par sa main leur mémoire s’exprime. Par son geste peut-être racontent-t-ils leur colère. Rage contre un monde en surconsommation. Détresse face à une communauté qui se délite en nouvel individualisme bercé de religion sous perfusion. Par ses couleurs, peut-être disent-il leur amour, leurs joies, leurs rires. Par son harmonie et sa légèreté sans doute continuent-ils de l’accompagner. Parce qu’il ne cesse de chercher.

Avec entêtement et persévérance, il creuse sa ligne.

L’artiste est certes jeune et son geste encore brut, mais il s’adoucit. Petit à petit, il trouve son calme, il s’épure et s’éclaircit. Et c’est alors qu’on aperçoit non plus la colère, mais l’émerveillement devant tant de folie. L’œil devient mélancolique. L’innocence se révèle et danse en tourbillons de papillons.

Libéré de sa douleur il raconte son amour de la vie dans ce qu’elle a de plus spontané et pur. Sa passion de la nature. Sa recherche d’une simplicité extrême…de la vérité.

 

CLAIRE LE GOFF